Carnet de voyage, Nouvelle-Zélande, Pensées et blabla, Réflexions, Sur les Autres

Je suis venue te dire que je m’en vais. Et tes larmes … bah elles pourront rien y changer, alors ravale et avance !

La fin de mon voyage de ce côté du globe frappe doucement vigoureusement à ma porte. Je commence à lister les choses à laisser derrière moi, à anticiper le rangement du sac-à-dos, à paniquer devant le retard accumulé sur le tri des photos, à esquisser des bilans, etc. Toutefois, il y a une étape déjà traversée mais qui à l’approche du grand départ ressemble à une perturbante inconnue : comment se dire adieu ? (en buvant Contrex ?)

Comme je le disais dans de précédents articles, la durée limitée fait partie intégrante du voyage, parce qu’on avance, parce qu’on bouge, parce qu’on est quasiment tous de passage. Alors qu’elles durent une seconde, une semaine ou un mois, les rencontres sont bâties sur ce sentiment de péremption, de suspension, de doute sur le fait de se revoir. De plus, voyager c’est souvent s’ôter beaucoup de pression quotidienne des épaules, et surtout avoir un socle de partage commun. Des lors, il est naturel de se questionner sur le devenir de ces relations, de ces liens partagés, noués ou fantasmés.

Il y a ceux que l’on ne reverra jamais …

Peut-être la plus fournie, perturbante et brouillon des catégories. Mille raisons qui pourraient expliquer cette disparition des radars. Situation géographique, mauvaise volonté, importance du contexte du voyage, éphémère de la rencontre, absence d’affinités évidentes, absence de réciprocité, etc. Ce n’est donc pas du hasard, pas complètement de la faute à pas de chance.

Et pourtant, parmi tout ça, il y a ces personnes que l’on ne pourra jamais oublier, que l’on ne veut pas oublier. Parce qu’ils ont compté un peu plus les autres, parce qu’ils ont pris un peu plus de place, parce que leur ombre bienveillante planera longtemps sur ce pan de votre vie. C’est encore difficile pour moi d’accepter que des gens aussi importants vont disparaitre, encore difficile de digérer cet aspect du voyage et des rencontres. Pourtant il faut bien entendre une chose essentielle, voyage ou non, on ne peut contrôler qu’un tiers d’une relation avec autrui. L’autre tiers c’est à l’autre personne qu’il revient, et le dernier tiers à … la magie du destin, du hasard, des astres, des dieux, des complotistes, bref à la vie. Alors, on leur donnera peut-être des nouvelles, on likera sans doute quelques photos, en se disant qu’un jour peut-être, mais sans vraiment y croire.

… Et ceux que l’on reverra sans doute

Une, deux, cinq, mille fois, on ne peut pas le savoir. Mais on les reverra. Que ce soit pour prolonger un peu le voyage, pour l’ancrer un peu plus dans une réalité quotidienne, ou pour écrire une nouvelle page d’amitié. Comme une certitude, comme une évidence. Et surtout beaucoup d’espoir que ça arrive.

Et surtout il y a ceux que l’on rencontrera après

J’en parlerais probablement dans un futur bilan final, mais ce voyage m’a changé, m’a appris beaucoup sur moi-même, notamment en me confrontant de plein fouet aux autres. Pour le meilleur et pour le pire. Ces évolutions, bien que parfois douloureuses, m’ont rendu plus sereine dans mon rapport aux autres, sur ma capacité à affronter ou apprécier les échanges. Alors oui, il y en aura d’autres à rencontrer, ici ou ailleurs, pour un instant ou un chemin.

Cas particulier du road trip : la claque magistrale dans la tronche 

Après 40 jours de road trip, tout s’est arrêté. D’un coup.

Voyager avec des inconnus, c’est partager un quotidien avec quelqu’un dont on ne sait rien, dont on ne peut anticiper ni les réactions ni les émotions. C’est du stress, des habitudes différentes, des humours, des sensibilités, des saveurs préférées de chips et d’houmous différentes, des visions de la vie qui se confrontent, parfois se rejoignent ou s’entrechoquent violemment. C’est prendre le risque que le courant ne passe pas, que des tensions existent, que la route vers le meilleur se transforme en enfer. Mais c’est aussi prendre le risque de s’attacher à une tête qu’on a vu chaque matin avec le sourire pendant un mois et demi, et voir ce visage disparaître du jour au lendemain. Et pour gérer cette cassure il n’y a pas de mode d’emploi. Il peut y avoir des promesses de se revoir ou juste un silence entendu et ému face à l’incertitude de l’avenir. Il peut y avoir des doutes ou des certitudes. Quoiqu’il en soit, il restera toujours cette distance qui s’impose brutalement. Violemment. Après un coin de rue la voix s’éteint et après des centaines de kilomètres le visage devient déjà flou. Quelques minutes qui écrasent des jours entiers de vie commune. BAM !

Alors, comment on fait ? Comment je fais ?

Je ne sais pas. La cassure a été tellement brutale que j’en suis encore perturbée. J’ai passé ma journée post-road trip dans un bus à retenir des larmes qui ont fini par couler. J’étais perdue, déstabilisée. Focalisée sur les regrets, les ratés, les « j’aurais du ». Prendre plus de photos, mieux dire au revoir, plus me livrer, avoir moins peur, plus me dépasser, rire encore plus, parler encore plus, chanter plus fort. Faire plus, penser moins. Comme d’habitude, je me focalisais sur le négatif. Comme je l’avais déjà dit, le voyage c’est sans doute multiplier les rencontres et les échanges sociaux, mais c’est aussi multiplier les adieux déguisés en au revoir, et ce n’est pas quelque chose dont je raffole. Parce que je ne maitrise pas les choses éphémères, parce que je suis une nostalgique qui s’attache et qui voudrait que les choses perdurent, restent éternelles (sortez les violons). Mettre ces visages dans une case passée c’est accepter que le temps file et m’échappe. C’est accepter que tout à une fin … y compris ce sentiment de bonheur. C’est accepter que tout ce que l’on vit devient forcément un jour une émotion aux couleurs délavées ?

Alors j’avais sans doute besoin de cette journée pour faire le deuil de ces moments là. Je ne sais pas. Aujourd’hui j’essaye simplement d’apprendre à ne plus réfléchir sur ce que les autres ont perçu/ressenti, à ne plus douter et juste essayer de savourer, me concentrer sur mes ressentis, mes émotions, mes sentiments. Ce cœur battant au coucher du soleil sur Taranaki. Cette fierté face à la crête angoissante de Roy’s Peak. Ce souffle coupé devant le paysage magistral et inattendu d’Edoras. Ces rires et craquages nerveux devant le track inondé et boueux au possible de Pouakai Circuit. Ces « wow » de surprise émerveillés devant Waverley beach . Ce sourire bourré d’adrénaline en sautant de ce foutu avion à 6000m à Franz Joseph. Cette rage et ce soulagement sur le Mt Robert. Ces sourires devant ces dizaines de ciel étoilés. Cette décharge émotionnelle sur le ponton du lac Hauroko. Cette tête exaltée devant les icebergs du Hooker Lake. Cette excitation fulgurante devant ce lever de soleil sur la péninsule d’Akaroa. Ces déceptions face aux échecs et ratés. Ces grands sourires incontrôlables devant des couchers de soleil tout juste attrapés (Greymouth, Abel Tasman, Glenorchy, Catlins). Cette pause apaisante allongée sur les dunes du Cape Farewell, ou au pied de Rob Roy glacier. Ces rires sous les coups de vent aux Tama Lakes. Ces coups de chaud et souffles fatigués à Rawhiti Caves. Ces discussions et échanges enrichissants. Ces « c’est trop beau » devant certaines routes sublimes. Cette chaleur devant ce feu de camp à Franz Joseph. Ces envolées musicales pas toujours de très bon goût. Ce retour en enfance en descendant une piste de ski des Remarkables sur les fesses. Ces déceptions météo ou paysagesques, ces prises de becs, ces retours à la normale, ces guerres froides, ces moments de complicité, ces gestions de crise, ce sentiment de se comprendre, de partager, ces « je sais pas », ces histoires d’odeurs, de blagues incomprises, de grands rires, de « cherchage », de lassitude, de moqueries, de langues de vipère qui constatent, de bruits étranges, de « bof » ou de « c’est cool », d’organisation. Tout ça. Et plus encore. C’est tout, juste tenir ce cap là, se focaliser sur ce qui a été chouette pendant ce mois et demi.

Alors quoi ?

Et bien c’est tout, je n’ai pas de recette miracle, pas d’idées, pas de petits trucs. Juste du mal à m’en remettre. Juste du mal à accepter les claps de fin. Alors je fais comme je peux, et je crois qu’on fait tous cela. On continue d’avancer parce qu’on a pas tellement le choix, parce que le monde tourne toujours, parce qu’on est attendu ailleurs. Cette période d’au revoir c’est une leçon de plus à retenir, c’est un peu comme une période de deuil à passer. On sait que c’est difficile, on cherche du soutien mais on se sent juste désarmé, et puis un jour ça ira mieux, bien plus vite qu’on ne le pensais d’ailleurs.

Et maintenant ?

Donc oui, c’est aussi la fin tout court pour moi dans ce pays. Et là j’ai bien le bide qui se noue. J’ai du mal à réaliser que d’ici 15 jours, je serais dans le métro avec mon gros sac à dos, à comprendre les hauts parleurs, à réfléchir pour ne pas dire « Sorry » ou « Hi », à ranger pour quelques temps mes chaussures de rando, à devoir réfléchir sur l’avenir.

En quittant ce pays, j’ai aussi l’impression de dire adieu à mes souvenirs. Parce qu’il y en avait trop, trop d’émotions, trop de visages, trop d’histoires. Difficile de s’en rappeler, difficile de les dénombrer, de les différencier, malgré leur force et intensité. Mais qu’ils seront toujours là quelque part, dans chaque petites évolutions, dans chacun de mes futurs pas il y a aura un bout de ces 8 mois passés dans ce qu’on appelle souvent « le bout du monde ». Parce qu’il est évident que ce voyage m’a changé. Je le voulais, je l’attendais. Le chemin est encore long pour sortir celle que je suis complètement, pour libérer totalement mon corps et mon esprit d’un passé un poil trop encombrant, mais les choses ne sont plus les mêmes. Mes convictions se sont affinées, affirmées. Mes envies ont changé, mon quotidien n’en est plus un. J’ai peur de ne pas trouver ma place en rentrant, mais je sais aujourd’hui qu’une place ça se trouve, ou du moins, ça se cherche. Alors on y croit, et « Keep going » :)

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4 réflexions au sujet de “Je suis venue te dire que je m’en vais. Et tes larmes … bah elles pourront rien y changer, alors ravale et avance !”

  1. Bravo, Bravo, BRAVO! Tu peux vraiment être fière de toi… Bisous et bon retour! (Tu rentres en France ou autres choses de prévues? :) )

    1. Merci beaucoup :)
      Pour le moment c’est retour en France pour une semaine, et probablement un départ pour quelques semaines en Europe (j’ai maintenant beaucoup de mal à me projeter ahaha) et la suite … c’est le grand mystère !

  2. Très joli article, et très sincère… Pour moi non plus ce n’est pas facile de dire au revoir, mais j’essaie de me dire que quitter quelque chose c’est pour trouver autre chose… on dit au revoir à certaines choses, pour dire bonjour à d’autres.
    Bon courage pour la fin de ton séjour en NZ, ces derniers jours vont être riches en émotions je pense… mais c’est ça être vivante, et c’est chouette au final :-)
    Bises et à bientôt !

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